vendredi 22 juillet 2011

En voiture Simone


Cela fait maintenant dix mois que j'ai troqué mon fidèle vélo pour les transports en commun philippins. L'occasion pour moi de passer en revue tous ces véhicules si caractéristiques et qui prennent une place notable dans mon emploi du temps.

En ville et pour les courtes distances, c'est un tricycle garé au coin de la rue qui effectuera pour vous les premiers kilomètres. Il s'agit d'une moto aménagée d'un side-car qui peut transporter cinq ou six passagers. Mais ceux qui effectuent les trajets scolaires peuvent facilement déplacer une dizaine d'enfants. Chaque ville possède son propre modèle de tricycle, et à Manille, gare à celui qui osera s’aventurer hors de son quartier d'assignation !




Pour un ou deux euros, les taxis blancs de Manille vous feront souvent gagner plusieurs dizaines de minutes. La porte s'ouvre et la température perd d'un seul coup dix degrés, climatisation oblige. Ce jour là c'est Ernesto, un grand père de soixante-dix ans qui est au volant. La première chose à faire est de négocier le prix du trajet. Bien que tous les taxis soient équipés d'un "meter", il y a toujours une excuse pour demander au client une petite majoration. Le taxi peut ensuite entamer sa course. Ernesto prend soin, avant de partir, de faire un signe de croix après avoir touché le chapelet qui pend sur le rétroviseur intérieur. Il répétera d'ailleurs l'opération à chaque fois qu'il passera devant une église. Superstition ? En tout cas en l'absence d'assurance auto, chaque véhicule est ici équipé de son chapelet et autres articles religieux. Ernesto, comme la plupart des chauffeurs de taxi, loue sa voiture une journée sur deux. Il enchaîne alors, dans la même journée, 24h de conduite. Ernesto ne touche pas de retraite et son salaire permet de soutenir les études de ses petits-enfants. Sa conduite est brusque et l'accident ne semble jamais très loin. Mais il reste calme et imperturbable. Une queue de poisson soudaine ne décrochera sur son visage qu'un très léger signe d'énervement. En bruit de fond, la radio philippine diffuse les derniers tubes du moment en tagalog :





Comment ne pas parler de lui. Véritable emblème des Philippines. 100 % made by Pinoy. C'est un véritable buffle aussi à l'aise en ville qu'en montagne. Un seau d'eau pour refroidir le moteur, un autre d'huile de friture pour l'alimenter, et l'animal avalera l'asphalte ou la piste boueuse avec une facilité déconcertante. Je veux évidemment parler du jeepney. C'est le transport en commun le plus utilisé. Il est à l'image du Philippin : coloré, joyeux, bruyant, inusable, plutôt polluant mais aussi et surtout ultra-résistant. Chaque jeepney se distingue d'abord par son prénom, affiché en grosses lettres au dessus du pare-brise, puis par ses multiples peintures qui se chevauchent sur le moindre centimètre carré de carrosserie. Les dessins les plus courants sont les portraits de la Vierge Marie ou de Jésus mais on trouve aussi une multitude de bannières étoilés et autres emblèmes américains. Une manière aussi de rappeler que les premiers jeepneys descendent des jeeps abandonnées par l'armée américaine à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.
Un simple geste de la main suffit à l'utilisateur pour faire ralentir un jeepney et ainsi s'y engouffrer. On s'y entasse jusqu'à vingt-cinq sur deux banquettes qui se font face. Les huit pesos, qui constituent le tarif normal, circulent de main en main jusqu'à celle du conducteur. Pour s’arrêter, le passager peut scander un "para po" ou tout simplement faire résonner une pièce de monnaie sur les barres métalliques attachées au plafond.
Le soir, le jeepney brille fièrement de tous ses néons et les deux grosses enceintes placées sous les banquettes se font de plus en plus bruyantes. Ce soir c'est George Michael qui accompagne la sortie du week-end des Philippins, au Mall of Asia, le troisième plus grand centre commercial d'Asie.





Pour terminer, quelques lignes sur le moyen de transport dans lequel je passe le plus de temps : le bus. Pour les longs trajets d'une douzaine d'heures, l'unique voie ferrée du pays ne traversant que Manille, il ne reste que l'option 'bus climatisé'. L'adjectif climatisé est essentiel ici car passée la première nuit en bus, on comprend vite, contre toute attente, qu'il va devenir un calvaire. En effet, c'est toujours la même histoire. Seules les premières minutes rafraîchissent le voyageur. Puis commence alors une longue lutte pour tenir jusqu'à l'arrivée. Impossible d'arrêter le courant d'air froid ni d'en régler sa puissance. Les Philippins, résignés, y voient l'unique occasion de porter un bonnet et un blouson. Pour ma part, je refuse l'investissement, qui ne viendra qu'ajouter des kilos inutiles à mon sac à dos. Il faut alors ruser pour dévier l'arrivée d'air, et s’approvisionner en boissons chaudes lors de chaque arrêt.
L'équipage d'un bus est toujours constitué du chauffeur et de son assistant. L'assistant, qu'on appelle 'conductor', c'est celui qui vend les billets et repère les nouveaux passagers qui attendent sur la bord de la route. Souvent très jeune, c'est toujours un peu le même style vestimentaire. Un style que l'on qualifierait en France de banlieusard. La casquette L.A. ou N.Y.C. ( Los Angeles ou New York City), le maillot de basket-ball et quelques tatouages sur les bras. Mais l'habit ne fait pas le moine. Un Philippin reste un Philippin, quelque soit son âge. Le sourire, la politesse, l’accueil et le respect semblent être innés ici. Le conductor aide les femmes à monter dans le bus. Puis ayant repéré l'americano que je représente à travers ma peau blanche, il vient s’asseoir à coté de moi pour tenter d'en apprendre un peu plus sur ma présence ici et sur mon pays d'origine. Puis il reviendra s’installer à l'avant du bus en reprenant le refrain de la chanson qu'il vient d'insérer dans le lecteur CD. Ce n'est pas du RAP, comme on pourrait s'y attendre, mais toujours les mêmes classiques américains que chaque Philippin connait par coeur. Des groupes plutôt démodés comme Air Supply ou Survivor qui vous suivent partout aux Philippines et qui ont encore de belles années devant eux ici.




jeudi 30 juin 2011

Une journée en High School


Le système éducatif philippin est calqué sur le système américain, bien que plus court en nombre d'années. De 2 à 6 ans, les enfants peuvent rejoindre une Pre School, l'équivalent de la maternelle en France. Ensuite l'école devient obligatoire pour l'Elementary School (cycle primaire), de 6 à 12 ans, puis l'High School (cycle secondaire), de 12 à 16 ans. Enfin, les plus chanceux termineront leurs études par un cycle de deux ou quatre ans à l'Université.

L'école, pour les enfants qui ont la chance d'y aller, prend une place considérable et rythme bien souvent aussi leurs soirées, week-ends voir même vacances. Les journées sont bien remplies à l'image de celles de Maricel, qui fait sa rentrée en deuxième année d'High School.


Maricel a 13 ans et vit à Piat, petite ville au nord des Philippines. C'est la dernière d'une famille de cinq enfants. Ses parents se sont séparés il y a quelques années et sont chacun partis à Manille fonder une autre famille, laissant derrière eux leurs quatre premiers enfants. Les trois aînés, âgés de 18 à 15 ans, ont arrêté l'école à 12 ans après leur cycle primaire obligatoire. L'avant dernière s'est malheureusement noyée l'année passée, en voulant simplement se rafraîchir dans la rivière après la fête du village. Les enfants ont maintenant des petits jobs comme assistance médicale ou soudeur, afin de gagner leur vie et d'être autonome. Par chance, Maricel a été recueillie par la directrice de l'école Our Lady of Piat High School. Elle y vit donc à l'année, dans le dortoir, avec trois autres filles. Il s'agit d'une école privée dirigée par des Soeurs Franciscaine. Aux Philippines, les écoles privées sont tenues par des religieux et Our Lady of Piat High School n'échappe pas à la règle. C'est avant tout la discipline qui fait la réputation de ces écoles. Un autre avantage sur le public étant le faible nombre d'élève par classe. Il n'y a que vingt-huit élèves dans la classe de Maricel quand ce chiffre avoisine parfois la soixantaine en école public.

4:50 am : le réveil sonne dans le petit dortoir vieillissant de Maricel. Elle et ses trois camarades se lèvent pour une nouvelle journée d'école. Dans la pièce d'à coté, trois jeunes enseignantes d'une vingtaine d'années se réveillent aussi. C'est elles qui encadrent les enfants de l'internat. Maricel commence alors sa journée par se doucher à l'eau froide, en allant dans un premier temps puiser l'eau à la pompe. Puis elle enfile son uniforme pour entamer sa tache quotidienne, balayer la grande cour en béton, à l'aide de son balais fabriqué à partir de nervures de feuilles de cocotier. Les autres filles du dortoir ont leur propres taches aussi. Arroser les fleurs, couper l'herbe aux ciseaux...

6:30 am : les filles peuvent enfin prendre un petit déjeuner constitué du riz froid du repas précédent accompagné généralement d'une boîte de thon ou de sardines. Petit à petit les élèves arrivent à l'école. Les premiers sont ceux qui seront chargés, pour la journée, du lever des couleurs. Dans les classes, les professeurs affichent le poster qu'ils viennent de préparer et qui indique le planning de la journée. Les enfants suivent au total huit cours différents : anglais, tagalog (filipino), mathématiques, sciences, santé, musique et chant, culture et éducation civique.

7:15 am : c'est l'heure du lever des couleurs. Alignés par niveau dans la cour principal, Maricel et ses camarades écoutent attentivement les instructions de l'élève de dernière année, chargé de diriger le rituel. Ce dernier commence par une prière puis un "je vous salue Marie" repris par toute l'assemblée. Vient ensuite le moment très solennel du lever du drapeau accompagné par l'hymne national. Le meneur bat la mesure tandis que ses camarades, main sur le coeur, fixent le drapeau qui s'élève petit à petit. La cérémonie se termine par les instructions du principal.



8:00 am : les cours de la matinée peuvent enfin commencer pour Maricel. C'est en général en anglais que le professeur dicte ou écrit ses cours au tableau. A la pause de dix heures, les élèves se précipitent vers la petite cantine de l'école pour acheter un goûter. Aux Philippines, une merienda, comme on l'appelle, ne se rate pas. Ceux qui peuvent se l'offrir s'achète des barres de chocolats, des bananes fris ou un coca qu'ils versent dans une poche en plastique, la bouteille étant consignée. L'enceinte de l'école est petit à petit parsemée de papiers, plastiques en tout genre... Il y a bien des poubelles mais ce n'est pas encore rentré dans l'esprit des Philippins. Et puis de toute façon il y a quelqu'un assigné au ramassage tous les soirs. Quand je demande à Maricel pourquoi elle vient de jeter son paquet de biscuits vide par terre, à même pas dix mètres de la poubelle, celle-ci se contente de rigoler. C'est le début de la semaine et Maricel est contente car elle vient de recevoir son petit argent de poche que lui donne la directrice pour la semaine. Elle peut alors se permettre d'acheter un gouter sans se soucier de la fin de semaine. Et c'est pourtant à chaque fois le même problème. A partir du jeudi ou vendredi Maricel a déjà dépensé tout son argent. Les intercours sont alors beaucoup moins drôles et il ne lui reste plus grand chose pour accompagner l’assiette de riz lors de ses repas. Économiser ne fait pas encore parti du vocabulaire philippin !



12:00 am : pause déjeuner. Certains rentrent chez eux mais une bonne majorité d'élève est venu avec un repas qu'ils engloutissent assis sur leur bureau de classe. Maricel a tout juste le temps pour une petite sieste dans son dortoir. Dans la cour il y a aussi des élèves de cycle primaire (Elementary). Cette année, le jeu à la mode sort d'un petit tube de colle coloré. Il s'agit d'une colle un peu particulière qui permet, à l'aide d'une petite paille, de faire des grosses bulles très résistantes au toucher. Les bulles passent de bouche en bouche sans que les enfants se soucient des fortes odeurs de solvant qui s'en dégage. Mais à en croire certaines mines crispées au contact de la bulle de colle, ce n'est pas le goût qui en a fait leur popularité.






13:30 pm : les cours reprennent. Maricel et sa classe ont un petit projet cet après-midi. Il s'agit d'aller désherber le terrain arrière de l'école envahi par la végétation. Armée de sa machette, Maricel suit son professeur qui dicte les opérations. Etre enseignant aux Philippines est synonyme de réussite et inspire le respect. Véritable autorité, à n'importe quel moment et que l'on soit à l'intérieur de l'école ou non, chaque ordre donné par un professeur à son élève sera toujours exécuté sans interrogations par ce dernier.

16:30 pm : nouveau rassemblement qui marque la fin de la journée scolaire. Après les dernières recommandations les élèvent rentrent en général chez eux. Mais pas aujourd'hui, car c'est la semaine du festival de la ville de Piat. Maricel et ses camarades doivent alors s'entrainer pour la parade qui aura lieu dans deux jours. Majorettes, tambours, xylophones, chorégraphies... les parades sont une véritable institution aux Philippines. Pourvu que ça brille et que ça fasse du bruit !






17:30 pm : Maricel accomplie son autre tache de la journée. Il lui faut arroser la pelouse tous les soirs. C'est avec le sourire que Maricel s’exécute. Elle me raconte alors ses projets. Elle aimerait devenir architecte plus tard. A cet âge, je sais qu'en général, derrière chaque ambition se cache une raison particulière. Celle de Maricel provient tout simplement de son dortoir. En effet celui-ci aurait déjà du être démoli il y a quelques années devant sa vétusté. Mais l'école manque de financements. Maricel, elle, a déjà les plans en tête d'un dortoir tout neuf ! En ce qui concerne les devoirs à faire le soir; il n'y en a en fait très peu durant l'année, au sens où on l'entend en France. Mais je comprends vite qu'en réalité ils sont omniprésents. Il s'agit du devoir d’obéissance. Ou encore celui qu'a un élève philippin pour garder son école propre et pour la représenter fièrement lors des divers compétitions annuelles.

19:00 pm : c'est l'heure du dîner. Maricel part s'acheter une conserve ou quelques légumes auprès du sari-sari le plus proche. Il s'agit d'une petite épicerie locale. Là encore l'économie y fait défaut. Tout est vendu à l'unité et en très petite quantité. Le shampoing, le dentifrice, les sachets de gâteaux individuels, les cigarettes... Tout sera consommé dans l'instant. Pourtant le calcul est vite fait, et s'acheter une grosse bouteille de shampoing en début de mois permettrait à Maricel de s'offrir quelques goûters supplémentaires.
La soirée, Maricel peut enfin se détendre un peu en regardant par exemple la télé installée dans le dortoir des professeurs.




22:00 pm : le dortoir s'éteint enfin. Avant de s'endormir Maricel prend soin d'allumer un ventilateur afin de chasser les moustiques affamés durant son sommeil.


 



Ses week-ends mais aussi ses vacances, Maricel les passe dans l'école. Le samedi elle s'offre une petite grasse matinée en se levant vers 6h30 (pour moi c'est plutôt 9h, "jokelang"). Il faut alors laver les classes des Pre School et tout ranger. C'est aussi le jour des lessives. Maricel a de quoi s'occuper. Mais le plus frappant dans tout ça, c'est qu'elle est heureuse ! Bien sur elle pense à sa grande soeur décédée l'année dernière ou encore à ses parents. Mais ça c'est quand elle n'a rien à faire justement. Le reste du temps, du moment que l'une de ses acolytes est à ses côtés (le fameux "kasamahan" en tagalog qui signifie compagnon), peu importe la tâches à accomplir, elle sera toujours rythmée de nombreux éclats de rires ! 



lundi 20 juin 2011

La New People's Army


Les NPA, comme on les surnomme ici, sont la branche armée du parti communiste philippin. D'inspiration maoïste et créé en 1969, ce mouvement a connu son apogée dans les années 1980 avec plus de 25 000 combattants à son actif. Revendiquant entre autre l'assassinat de Colonel américain James N. Rowe, le mouvement a récemment été qualifié d'organisation terroriste par les Etats-Unis et l'Union Européenne. Les NPA agissent majoritairement en zone rural et leurs principales cibles sont les militaires, les hommes politiques ou hommes d'affaires. Bien que réduits à environ 5 000 membres aujourd'hui, leurs faits d'armes font toujours l'actualité. Mais si je vous en parle, c'est justement parce que certains des programmes dont j'ai la charge sont situés dans des zones rurales encore sensibles.

Et pourtant la première fois qu'une responsable philippine me parle des NPA, c'est pour me rassurer. Mais son discours me fait plutôt l'effet inverse. En effet, tranquillement installé sur le toit du jeepney qui nous emmène dans son village, Ate Leoni, la responsable, me demande de passer à l'intérieur lors du deuxième arrêt.


Elle me fait alors part d'une embuscade qui a eu lieu deux jours avant mon arrivée. C'était après la fête du village. Le préfet de police de la région, accompagné de sa femme, était venu assister aux célébrations. Puis ils sont repartis, en bonne garde, à la fin de la journée. C'est sur la route du retour qu'a eu lieu l'attentat. Les NPA, avait alors placé une mine sur la piste qu'ils ont fait sauter au passage du convoi. S'en est alors suivi un réel massacre pendant lequel une quarantaine d'hommes armés achevèrent les occupants du fourgon de police. Bilan, six morts et un disparu...
Et c'est cette même piste que nous nous apprêtons à emprunter. Mais Leoni m'assure que les NPA ne s'attaquent pas aux touristes et que de toute façon, ils sont sûrement déjà loin, tant la région est maintenant quadrillée par les militaires. En passant au niveau de la zone de l’attentat, j’aperçois quelques restes. Un pneu calciné et une perfusion gisent encore sur le sol, tandis que le fourgon, éventré sur le côté, repose sur le bas-côté de la piste.

De manière général il faut éviter de parler des NPA, ou du moins d'en dire du mal, car on n'est jamais sur que l'interlocuteur en face n'en fait pas parti. Et finalement, sans le savoir, j'ai forcément été en contact avec des sympathisants. En effet, trois mois après cet incident, je retourne une nouvelle fois dans le village d'Ate Leoni. Et nouvelle coïncidence, un autre épisode de la lutte entre les NPA et l'Armée vient d'avoir lieu. Cette fois-ci, c'est le SWAT philippin qui a retrouvé le sourire après avoir abattu le commandant NPA de la région. Il doit être enterré cette semaine dans son village natal. Et c'est justement là-bas que je suis sensé aller visiter certains filleuls avec Ate Leoni !
Mais le lendemain les précipitations sont trop importantes et la route étant boueuse, Leoni a peur que nous ne puissions pas effectuer le voyage dans la journée. Cela nous obligerait à dormir là-bas et étant données les circonstances, elle préfère éviter. Mais le soir son mari, qui a absolument tenu à assister à la veillée funéraire, me tend son téléphone portable. J'y aperçois alors la tête d'un homme d'une soixantaine d'année, le fameux commandor comme ils l'appellent ici, allongé dans son cercueil...




Mais les NPA ne sont pas les seuls à effrayer la population. Dans la région de Kalinga, au nord de Luzon, ce sont les guerres tribales qui peinent à disparaître, héritage culturel dont les habitants se seraient bien passés.
En effet, il y a encore une centaine d'années, les villages voisins s’entre-tuaient à grands coups de machettes pour un simple désir de vengeance ou tout simplement sanguinaire. Mais aujourd’hui les gens se déplacent, se mélangent et ceci devrait déjà être du passé. Pourtant, à en croire certains, la tribu d'appartenance d'une personne se lit souvent sur son visage. Et la vengeance est parfois la seule consolation possible devant la perte d'un proche. Qu'elle soit volontaire ou accidentelle, si un membre d'une tribu décède par la faute d'une personne d'une autre tribu, alors il doit impérativement être vengé. Mais peu importe la responsabilité de la prochaine victime, du moment qu'elle appartienne à la tribu visée ! Et c'est pourquoi, lorsqu'un conflit refait surface, certains des étudiants Enfants du Mékong de la région se voient contraints de se cacher pendant plusieurs jours jusqu'à ce qu'un nouveau décès intervienne...

C'est toujours dans la même région qu'une autre histoire me vient aux oreilles. Je suis en voiture en compagnie d'un philippin tandis que nous traversons un petit village. Celui-ci m'explique alors que nous traversons une zone surnommée la "terre royale". Après ma demande d'explications, il me raconte qu'un jour, l’évêque et son chauffeur traversent en voiture le village. Passant alors un peu trop près d'une petite fille, celle-ci, effrayée, pousse un grand cri. Les deux hommes s’arrêtent alors pour vérifier que la fillette ne soit pas blessée. C'est alors que le père de celle-ci surgit, machette à la main, avec la ferme intention de tailler en pièce le chauffeur ! Il ne cherche pas à savoir ce qu'il a bien pu se passer ni à qui il a affaire et s'élance en direction des deux hommes. Dans un dernier geste, l'évêque a tout juste le temps d’arrêter le coup de machette qui s'abat sur son chauffeur. La lame lui tranche alors plusieurs phalanges avant qu'il parvienne à s’échapper avec son conducteur.
Mon compagnon de route rigole alors en m'expliquant qu'ici, la moindre erreur de conduite peut te coûter la vie !

Tout ceci me rappelle que même si les rapports que j’entretiens avec des Philippins sont pacifiques et joyeux, je ne dois pas oublier que le fait de contenir ses émotions en permanence, de toujours cacher ses sentiments, peut amener dans certaines circonstances à des explosions émotionnelles d’une violence incroyable.

C'est promis, le prochain article sera moins sombre !

vendredi 27 mai 2011

Appel aux parrains !

Cela fait maintenant presque deux ans que l'idée avait été proposée.  Il s'en est alors suivi plusieurs visites pour étudier les besoins, la faisabilité... et le grand jour est enfin arrivé ! J'ai la chance d'ouvrir un nouveau programme de parrainages ! Souvenez-vous l'album photo Asipulo. C'est donc quinze écoliers philippins choisis par mes soins qui attendent un parrain en cette rentrée scolaire :







Jaybee BANGADON / 11 ans / grade 5










Raiza TAYABAN / 15 ans / High School 3



Luz PINAO-AN / 14 ans / grade 6










Jolibel DULNUAN / 14 ans  / grade 5






Qui-Robin BISTOL / 16 ans / High School 3






Jean KIMAYONG / 11 ans  / grade 5





Erlynda NALLIW / 12 ans / grade 6





Primalyn TAGTAG / 10 ans / grade 5





Dikela MANAGAD / 15 ans / High School 3






Kristol-Elani BELINGON / 12 ans / grade 5






Aldrin BUHONG / 10 ans  / grade 5








Chienlyn DOMIN-ONG / 13 ans / High School 2






Alien CATANGLAL / 11 ans  / grade 6






Avis aux parrains !

Alors pour vous donner une idée, voici un descriptif d'Asipulo :




lundi 23 mai 2011

Siffler en travaillant


"Philippines, Pays du Sourire"


Les typhons passent, les sourires demeurent... C'est réellement ce qui fait le charme et surtout la force des Philippins. Et d'autant plus lorsque l'on découvre ce que cache ce sourire.

Quoi qu'on en dise, les Philippins sont travailleurs. Pourtant effectuant bien souvent un travail harassant et fastidieux, c'est toujours dans la bonne humeur que le père de famille ira gagner ses maigres pesos de la journée. Et même si il en va parfois de sa survie. "Bahala na" comme dit le célèbre dicton philippin. Ce qui peut se traduire par "ainsi va la vie". Mais attention cela ne correspond pas à un état de lassitude ou de passivité. C'est plutôt une façon de dire: je ferais de mon mieux, et Dieu s'occupera du reste. A quoi bon se plaindre puisque de toute façon, tout cela me dépasse. Mieux vaut en rire !

Et c'est donc dans cet état d'esprit que le chauffeur de taxi manillais, par exemple, se lève, un jour sur deux, pour aller enchaîner vingt-quatre heures de conduite. Vingt-quatre longues heures durant lesquelles il tente de lutter contre la fatigue et le sommeil à grandes gorgées de boisson énergisante. Il n'est d'ailleurs pas rare pour le client de voir son chauffeur piquer du nez ou même parfois d'avoir à le secouer pour éviter l'accident. C'est sur le même rythme de vie qu'est calé celui du gardien de résidence par exemple. A cela s'ajoute souvent le fait que celui-ci a laissé sa famille en province pour partir gagner sa vie à la capitale et subvenir aux besoins de ses enfants. Et pourtant c'est toujours avec ce même sourire sincère et radieux qu'il gratifie les habitants de la résidence. Il n'y a pas si longtemps j'ai percé le secret du sourire de Joseph, le gardien de Parkwood où se trouve la maison Enfants du Mékong. Un terrible secret qui n'a cependant jamais réussi à détrôner sa mine radieuse. Joseph vient de Samar, une province particulièrement pauvre des Visayas, où il y a laissé ses deux filles et sa femme. Il n'y retourne qu'une à deux fois par an et partage alors un maigre quatre mètres carrés avec son collègue, ici à Manille. Mais jamais je n'aurais pu me douter qu'en plus de ça, Joseph est atteint d'un cancer et que n'ayant pas les moyens de se soigner, il prie pour qu'on lui accorde quelques années supplémentaires. C'est donc sourire aux lèvres qu'il enchaîne les gardes et envoie tous les mois une partie de son salaire à sa famille.

Les OFW (Overseas Filipino Workers) sont un autre exemple flagrant du courage des travailleurs Philippins. Il s'agit de plus de 9 millions de Philippins partis vivre et travailler à l'étranger. Beaucoup d'entre eux sont de simples aides domestiques, leurs diplômes n'étant pas reconnus à l'étranger, et envoient ainsi chaque mois, un par un, les dollars gagnés, à la famille restée sur le sol philippin. Ils sont considérés comme des héros par beaucoup de leurs compatriotes et je crois qu'ils en ont malheureusement la trempe. Comme ces 15 000 Philippins qui sont prêt à se sacrifier pour garder leur travail en Libye, refusant ainsi le billet de retour offert par leur gouvernement.

Pour terminer sur une note d'humour, voici une petite illustration de comment un Philippin effectue sa tâche d'agent de circulation. De quoi vous redonner le sourire avant de reprendre le travail !


dimanche 22 mai 2011

Mont Apo (album photo)


Enfin quelques vacances à Mindanao et plus particulièrement sur le point culminant des Philippines, avec ses 2954 mètres de hauteur, le mont Apo ! Ce volcan, maintenant parc national, est réputé assez accessible, en tout cas sur le papier. Mais cela nous a coûté, à Bruno, Louis-Marie, Hortense (trois autres volontaires aux Philippines) et moi, quelques bonnes courbatures, une déchirure musculaire et surtout quelques ongles en moins !
Les premières heures nous mettent tout de suite dans le bain avec la traversée d'un pont de singe, dont seulement deux ou trois bambous humides nous séparent des six mètres de vide sous nos pieds. Aux Philippines, ni le guide ni un quelconque panneau ne vous avertira du danger. C'est à vous de mesurer, judicieusement, le risque en fonction de vos capacités... De tout façon il faut bien avancer ! Le sac à dos qui avoisine les quinze kilos sera un autre handicap pour toute la durée du parcours.
C'est donc au terme de neuf heures d'ascension, et de nuit, qui nous arrivons au premier campement, qui n'est en fait qu'une simple clairière au milieu de la forêt primaire. Notre guide est à peine essoufflé. C'est un habitué du mont, et surtout il s’entraîne pour la course international qui se disputera une semaine plus tard. Il s'agit de grimper au sommet et de redescendre en moins de 24 heures. Pour la petite histoire, notre guide finira deuxième de la course ! Nous sommes donc entre de bonnes mains...
Le deuxième jour est un peu moins intense mais tout aussi spectaculaire. Nous quittons la forêt primaire pour traverser des fumerolles de souffres, qui laissent petit à petit apercevoir le sommet. Et finalement, en milieu d'après midi, nous-y sommes enfin ! La brume est déjà là et une forte pluie nous confine dans notre tente à peine imperméable. Après, une courte nuit et quasiment blanche pour ma part, c'est enfin la récompense. Un lever aux aurores nous offre un panorama de 360 degrés qui s'illumine peu à peu.
Puis vient le moment de la descente. Une très longue journée où les cuisses peinent à amortir le choc du sac à dos. Les dernières heures se feront sous une pluie torrentielle. Trempés jusqu'aux os, il nous faut alors ruser pour traverser, à plusieurs reprises, un cours d'eau dont le débit a dangereusement augmenté.
Une dernière surprise nous attend à l'arrivée avec une baignade dans des sources chaudes...un régal !


vendredi 25 mars 2011

Simple Life


Une fois n'est pas coutume, mon aventure commence dans le hangar froid d'un terminal de bus. Il est deux heures du matin et même si les rues de Manille semblent désertes, le terminal, lui, ne manque pas d'animations. Au centre de celles-ci se trouve mon bus qui doit partir dans une demi-heure. Une demi-heure, c'est le temps qu'il reste aux trois philippins torse-nu pour charger la moitié du bus d'immenses sacs de légumes. Il en va de leur virilité, devant l'attention des passagers, et c'est à celui qui arrivera à porter le plus de sacs sur l'épaule. C'est finalement dans une forte odeur d'ail que nous entamons les cinq heures de route. Les images de la route défilent et la fatigue les rend de plus en plus floues. Pourtant l'une d'elle reste gravée plus longtemps que les autres sur ma rétine. Au détour d'un carrefour désert, j'entrevois un petit cercueil blanc. Il est là, posé sur deux tréteaux, au pied d'un des piliers du métro aérien. Deux bougies éclairent la scène et seule une femme, endormie sur sa chaise, tient compagnie à ce qui pourrait être son enfant, parti trop tôt...

Sept heures du matin, le bus arrive sur le port de Real où un bateau m'attend. Nous sommes le 14 mars, trois jours après le tsunami japonais. Ce jour là une alerte aux Philippines avait aussi été lancée et elle fut particulièrement prise au sérieux du côté pacifique. A tel point que beaucoup d’habitants de l'île sur laquelle je me rends sont partis se réfugier dans les montagnes pour la nuit. Fort heureusement, aucune vague n’a été constatée. Les jours suivants, la mer est restée cependant légèrement agitée. Mais pas suffisamment pour décourager certains pêcheurs qui sortent par trois sur leur petite banka.



Allongé sur le pont du bateau qui entame sa traversée, je peux enfin terminer (commencer ?) ma nuit. Tout juste le temps d'avaler une soupe de riz pour tenir les prochaines heures. Puis un nouveau transfert de moyen de transport. Cette fois-ci je ne suis plus très loin du but. C'est en jeepney que je rejoins ma destination. Celui-ci creuse de véritables tranchées dans la piste en glaise mais l'expérience du chauffeur aura raison des quinze kilomètres de boue. Les paysages sont grandioses et font vite oublier la fatigue du voyage.


A l'école secondaire de Mount Carmel, j'ai rendez-vous avec les filleuls Enfants du Mékong qui y sont scolarisés. Certains d'entre eux sont en train de désherber le chemin qui mène aux bâtiments. Ce que je pense être une punition n'est en fait qu'une simple tâche qu'effectuent quotidiennement les élèves à tour de rôle. Ici chacun participe au nettoyage et à la vie de son école. Quand certains vendent les goûters à la cantine, d'autres taillent l'herbe du campus comme cet élève de première année :


Souhaitons-lui bonne chance pour le demi-hectare qui lui reste à couper !

J'accompagne ensuite Kathleen, l'une des filleules, jusqu'à chez elle. Sa maison se trouve au milieu des rizières à cinq cents mètres de l'école. Sa situation familiale n’est pas évidente. Son père est parti lorsqu’elle n’avait que quatre ans et c’est donc seule, que sa mère, Julieta, tente de subvenir aux besoins des enfants. Julieta travaille dans une petite cantine du village et vend aussi des légumes dans la rue. Elle travaille environ dix à douze heures par jour. Autour de la maison je fais la connaissance de Nholan Dave, Jeric et Mara, les trois frères et sœurs de Kathleen. La famille habite une petite maison en bois avec toit en feuilles de nypa très rudimentaire. Ce qui n’enlève cependant rien aux magnifiques paysages de rizières qui entourent le terrain.


Lors de mon arrivée Nholan Dave était en train de nourrir l’unique cochon de la famille, qu’ils vont bientôt pouvoir vendre. C’est aussi lui qui s’occupe de Mara, la petite dernière, en l’absence de sa mère. Jeric est en revanche un garçon un peu plus timide. Kathleen m’explique qu’il a arrêté l’école cette année car il a peur d’y retourner. Il semble qu’un jour, ses camarades d’école lui aient volé toutes ses affaires de classe sans qu’il ait pu se défendre. Je  passe alors un peu de temps avec Jeric afin de lui expliquer l’importance d’aller à l’école. Kathleen, elle, l’a très bien comprise et m’assure que Jeric va se réinscrire pour la prochaine rentrée de juin. Même si la famille vit sur une île, aucun des enfants ne sait nager. Cela est du au fait que la plage la plus proche se trouve quand même à environ une heure trente de marche et que le trajet en tricycle (moto équipé d’un sidecar) coûte cher. Kathleen aimerait devenir professeur ou infirmière plus tard afin d’aider financièrement sa famille. C'est en bonne voie grâce au soutien de son parrain en France.




En me faisant visiter l'unique pièce de la maison, Kathleen me glisse un "simple life !". Je continue alors mes visites au milieu des rizières qui bordent l'océan. J'ai bien l'impression d'être au paradis tant les paysages sont splendides. Mais je sais maintenant que celui-ci a un prix.






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