Aujourd’hui, lundi 28 février est un jour un peu particulier pour moi. Alerté la veille par une responsable de programme philippine d’une situation délicate, je dois me rendre à Makati city jail. Le père d’une fille parrainée par Enfants du Mékong vient d’être incarcéré suite à une histoire de vol de matériel de chantier public. La situation est assez urgente car sa femme se retrouve seule avec ses quatre enfants, dont un gravement handicapé et demandant une attention permanente. Légèrement briefé par la responsable du programme, je dois alors me rendre sur place pour payer la caution et ainsi faire sortir le père de la prison en attendant le procès. Ce dernier semblerait soutenir son innocence en prétendant que le sac qu’il transportait, avant d’être contrôlé par la sécurité du chantier, appartenait à l’un de ses amis, et qu’il ignorait totalement la contenance de celui-ci. Me voilà donc parti avec 15 000 pesos en poche, l’équivalent de trois mois de salaire moyen, avec l’espoir bien naïf de sortir le père de famille de ce mauvais pas.
C’est devant l’enceinte de la prison que je retrouve la mère, visiblement assez déboussolée devant une telle situation. Celle-ci m’explique les larmes aux yeux que son mari a été battu par les gardiens de la prison afin de le faire avouer. J’apprends alors, avec stupéfaction, qu’elle vient juste de payer la caution. Mais où a-t-elle pu trouver cette somme ? Apparemment c’est la victime elle-même, le maître d’œuvre du chantier ayant embauché son mari, qui la lui aurait prêtée. Puis elle me glisse un morceau de papier sur lequel un des gardiens de la prison reconnait avoir reçu la somme de 15 000 pesos. La date est fausse et le papier a été découpé à la main. Je ne connais pas bien les institutions philippines mais j’ai du mal à croire que cette procédure soit honnête. J’ai besoin d’en savoir plus. Malgré l’interdiction des visites le lundi je tente ma chance en frappant à la lourde porte principale. Après quinze minutes de discussion à travers la trappe de la porte, celle-ci s’ouvre devant moi. C’est alors avec une légère appréhension que je traverse une grande cour, où quelques détenus jouent au basketball, puis une seconde grille. Le nombre de prisonniers par cellule est affolant. Mon entretien avec le père ne m’apportera pas grand-chose. Celui-ci ne parlant pas anglais, je dois me débrouiller avec mon maigre vocabulaire tagalog. Il est encore sous le choc. Puis c’est avec le gardien qui a empoché la caution que je discute. Son discours n’a presque aucun sens. Il n’y est quasiment jamais question de juge ni d’avocat. Ses faux airs de saint m’écœurent. Je dois malheureusement repartir, laissant le père de famille à l’intérieur, incapable de faire avancer les choses.
C’est finalement après en avoir discuté avec une philippine connaissant tous les rouages du système carcéral que mes pensées se confirment. Il s’agit bien là de corruption. Je ne peux donc plus m’en mêler. L’enfer de cette pauvre famille philippine ne fait que commencer. Même le fonctionnaire philippin chargé d’aider la mère dans les procédures judiciaires est dans le coup. Mais comment, sans éducation, savoir réagir devant une telle situation. Les plus faibles resteront des proies faciles pour quelques fonctionnaires désireux d’arrondir leurs fins de mois. Le père sera sans doute libéré une fois que chaque acteur aura touché sa part. Mais il lui faudra alors attendre son procès, durant lequel il risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement !
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