vendredi 25 mars 2011

Simple Life


Une fois n'est pas coutume, mon aventure commence dans le hangar froid d'un terminal de bus. Il est deux heures du matin et même si les rues de Manille semblent désertes, le terminal, lui, ne manque pas d'animations. Au centre de celles-ci se trouve mon bus qui doit partir dans une demi-heure. Une demi-heure, c'est le temps qu'il reste aux trois philippins torse-nu pour charger la moitié du bus d'immenses sacs de légumes. Il en va de leur virilité, devant l'attention des passagers, et c'est à celui qui arrivera à porter le plus de sacs sur l'épaule. C'est finalement dans une forte odeur d'ail que nous entamons les cinq heures de route. Les images de la route défilent et la fatigue les rend de plus en plus floues. Pourtant l'une d'elle reste gravée plus longtemps que les autres sur ma rétine. Au détour d'un carrefour désert, j'entrevois un petit cercueil blanc. Il est là, posé sur deux tréteaux, au pied d'un des piliers du métro aérien. Deux bougies éclairent la scène et seule une femme, endormie sur sa chaise, tient compagnie à ce qui pourrait être son enfant, parti trop tôt...

Sept heures du matin, le bus arrive sur le port de Real où un bateau m'attend. Nous sommes le 14 mars, trois jours après le tsunami japonais. Ce jour là une alerte aux Philippines avait aussi été lancée et elle fut particulièrement prise au sérieux du côté pacifique. A tel point que beaucoup d’habitants de l'île sur laquelle je me rends sont partis se réfugier dans les montagnes pour la nuit. Fort heureusement, aucune vague n’a été constatée. Les jours suivants, la mer est restée cependant légèrement agitée. Mais pas suffisamment pour décourager certains pêcheurs qui sortent par trois sur leur petite banka.



Allongé sur le pont du bateau qui entame sa traversée, je peux enfin terminer (commencer ?) ma nuit. Tout juste le temps d'avaler une soupe de riz pour tenir les prochaines heures. Puis un nouveau transfert de moyen de transport. Cette fois-ci je ne suis plus très loin du but. C'est en jeepney que je rejoins ma destination. Celui-ci creuse de véritables tranchées dans la piste en glaise mais l'expérience du chauffeur aura raison des quinze kilomètres de boue. Les paysages sont grandioses et font vite oublier la fatigue du voyage.


A l'école secondaire de Mount Carmel, j'ai rendez-vous avec les filleuls Enfants du Mékong qui y sont scolarisés. Certains d'entre eux sont en train de désherber le chemin qui mène aux bâtiments. Ce que je pense être une punition n'est en fait qu'une simple tâche qu'effectuent quotidiennement les élèves à tour de rôle. Ici chacun participe au nettoyage et à la vie de son école. Quand certains vendent les goûters à la cantine, d'autres taillent l'herbe du campus comme cet élève de première année :


Souhaitons-lui bonne chance pour le demi-hectare qui lui reste à couper !

J'accompagne ensuite Kathleen, l'une des filleules, jusqu'à chez elle. Sa maison se trouve au milieu des rizières à cinq cents mètres de l'école. Sa situation familiale n’est pas évidente. Son père est parti lorsqu’elle n’avait que quatre ans et c’est donc seule, que sa mère, Julieta, tente de subvenir aux besoins des enfants. Julieta travaille dans une petite cantine du village et vend aussi des légumes dans la rue. Elle travaille environ dix à douze heures par jour. Autour de la maison je fais la connaissance de Nholan Dave, Jeric et Mara, les trois frères et sœurs de Kathleen. La famille habite une petite maison en bois avec toit en feuilles de nypa très rudimentaire. Ce qui n’enlève cependant rien aux magnifiques paysages de rizières qui entourent le terrain.


Lors de mon arrivée Nholan Dave était en train de nourrir l’unique cochon de la famille, qu’ils vont bientôt pouvoir vendre. C’est aussi lui qui s’occupe de Mara, la petite dernière, en l’absence de sa mère. Jeric est en revanche un garçon un peu plus timide. Kathleen m’explique qu’il a arrêté l’école cette année car il a peur d’y retourner. Il semble qu’un jour, ses camarades d’école lui aient volé toutes ses affaires de classe sans qu’il ait pu se défendre. Je  passe alors un peu de temps avec Jeric afin de lui expliquer l’importance d’aller à l’école. Kathleen, elle, l’a très bien comprise et m’assure que Jeric va se réinscrire pour la prochaine rentrée de juin. Même si la famille vit sur une île, aucun des enfants ne sait nager. Cela est du au fait que la plage la plus proche se trouve quand même à environ une heure trente de marche et que le trajet en tricycle (moto équipé d’un sidecar) coûte cher. Kathleen aimerait devenir professeur ou infirmière plus tard afin d’aider financièrement sa famille. C'est en bonne voie grâce au soutien de son parrain en France.




En me faisant visiter l'unique pièce de la maison, Kathleen me glisse un "simple life !". Je continue alors mes visites au milieu des rizières qui bordent l'océan. J'ai bien l'impression d'être au paradis tant les paysages sont splendides. Mais je sais maintenant que celui-ci a un prix.






vendredi 11 mars 2011

Immersion carcérale

Aujourd’hui, lundi 28 février est un jour un peu particulier pour moi. Alerté la veille par une responsable de programme philippine d’une situation délicate, je dois me rendre à Makati city jail. Le père d’une fille parrainée par Enfants du Mékong vient d’être incarcéré suite à une histoire de vol de matériel de chantier public. La situation est assez urgente car sa femme se retrouve seule avec ses quatre enfants, dont un gravement handicapé et demandant une attention permanente. Légèrement briefé par la responsable du programme, je dois alors me rendre sur place pour payer la caution et ainsi faire sortir le père de la prison en attendant le procès. Ce dernier semblerait soutenir son innocence en prétendant que le sac qu’il transportait, avant d’être contrôlé par la sécurité du chantier, appartenait à l’un de ses amis, et qu’il ignorait totalement la contenance de celui-ci. Me voilà donc parti avec 15 000 pesos en poche, l’équivalent de trois mois de salaire moyen, avec l’espoir bien naïf de sortir le père de famille de ce mauvais pas. 

C’est devant l’enceinte de la prison que je retrouve la mère, visiblement assez déboussolée devant une telle situation. Celle-ci m’explique les larmes aux yeux que son mari a été battu par les gardiens de la prison afin de le faire avouer. J’apprends alors, avec stupéfaction, qu’elle vient juste de payer la caution. Mais où a-t-elle pu trouver cette somme ? Apparemment c’est la victime elle-même, le maître d’œuvre du chantier ayant embauché son mari, qui la lui aurait prêtée. Puis elle me glisse un morceau de papier sur lequel un des gardiens de la prison reconnait avoir reçu la somme de 15 000 pesos. La date est fausse et le papier a été découpé à la main. Je ne connais pas bien les institutions philippines mais j’ai du mal à croire que cette procédure soit honnête. J’ai besoin d’en savoir plus. Malgré l’interdiction des visites le lundi je tente ma chance en frappant à la lourde porte principale. Après quinze minutes de discussion à travers la trappe de la porte, celle-ci s’ouvre devant moi. C’est alors avec une légère appréhension que je traverse une grande cour, où quelques détenus jouent au basketball, puis une seconde grille. Le nombre de prisonniers par cellule est affolant. Mon entretien avec le père ne m’apportera pas grand-chose. Celui-ci ne parlant pas anglais, je dois me débrouiller avec mon maigre vocabulaire tagalog. Il est encore sous le choc. Puis c’est avec le gardien qui a empoché la caution que je discute. Son discours n’a presque aucun sens. Il n’y est quasiment jamais question de juge ni d’avocat. Ses faux airs de saint m’écœurent. Je dois malheureusement repartir, laissant le père de famille à l’intérieur, incapable de faire avancer les choses.


C’est finalement après en avoir discuté avec une philippine connaissant tous les rouages du système carcéral que mes pensées se confirment. Il s’agit bien là de corruption. Je ne peux donc plus m’en mêler. L’enfer de cette pauvre famille philippine ne fait que commencer. Même le fonctionnaire philippin chargé d’aider la mère dans les procédures judiciaires est dans le coup. Mais comment, sans éducation, savoir réagir devant une telle situation. Les plus faibles resteront des proies faciles pour quelques fonctionnaires désireux d’arrondir leurs fins de mois. Le père sera sans doute libéré une fois que chaque acteur aura touché sa part. Mais il lui faudra alors attendre son procès, durant lequel il risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement !

A vous de jouer !

Vous souhaitez soutenir ma mission ? Cliquez ici !