Cela fait maintenant dix mois que j'ai troqué mon fidèle vélo pour les transports en commun philippins. L'occasion pour moi de passer en revue tous ces véhicules si caractéristiques et qui prennent une place notable dans mon emploi du temps.
En ville et pour les courtes distances, c'est un tricycle garé au coin de la rue qui effectuera pour vous les premiers kilomètres. Il s'agit d'une moto aménagée d'un side-car qui peut transporter cinq ou six passagers. Mais ceux qui effectuent les trajets scolaires peuvent facilement déplacer une dizaine d'enfants. Chaque ville possède son propre modèle de tricycle, et à Manille, gare à celui qui osera s’aventurer hors de son quartier d'assignation !
Pour un ou deux euros, les taxis blancs de Manille vous feront souvent gagner plusieurs dizaines de minutes. La porte s'ouvre et la température perd d'un seul coup dix degrés, climatisation oblige. Ce jour là c'est Ernesto, un grand père de soixante-dix ans qui est au volant. La première chose à faire est de négocier le prix du trajet. Bien que tous les taxis soient équipés d'un "meter", il y a toujours une excuse pour demander au client une petite majoration. Le taxi peut ensuite entamer sa course. Ernesto prend soin, avant de partir, de faire un signe de croix après avoir touché le chapelet qui pend sur le rétroviseur intérieur. Il répétera d'ailleurs l'opération à chaque fois qu'il passera devant une église. Superstition ? En tout cas en l'absence d'assurance auto, chaque véhicule est ici équipé de son chapelet et autres articles religieux. Ernesto, comme la plupart des chauffeurs de taxi, loue sa voiture une journée sur deux. Il enchaîne alors, dans la même journée, 24h de conduite. Ernesto ne touche pas de retraite et son salaire permet de soutenir les études de ses petits-enfants. Sa conduite est brusque et l'accident ne semble jamais très loin. Mais il reste calme et imperturbable. Une queue de poisson soudaine ne décrochera sur son visage qu'un très léger signe d'énervement. En bruit de fond, la radio philippine diffuse les derniers tubes du moment en tagalog :
Comment ne pas parler de lui. Véritable emblème des Philippines. 100 % made by Pinoy. C'est un véritable buffle aussi à l'aise en ville qu'en montagne. Un seau d'eau pour refroidir le moteur, un autre d'huile de friture pour l'alimenter, et l'animal avalera l'asphalte ou la piste boueuse avec une facilité déconcertante. Je veux évidemment parler du jeepney. C'est le transport en commun le plus utilisé. Il est à l'image du Philippin : coloré, joyeux, bruyant, inusable, plutôt polluant mais aussi et surtout ultra-résistant. Chaque jeepney se distingue d'abord par son prénom, affiché en grosses lettres au dessus du pare-brise, puis par ses multiples peintures qui se chevauchent sur le moindre centimètre carré de carrosserie. Les dessins les plus courants sont les portraits de la Vierge Marie ou de Jésus mais on trouve aussi une multitude de bannières étoilés et autres emblèmes américains. Une manière aussi de rappeler que les premiers jeepneys descendent des jeeps abandonnées par l'armée américaine à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.
Un simple geste de la main suffit à l'utilisateur pour faire ralentir un jeepney et ainsi s'y engouffrer. On s'y entasse jusqu'à vingt-cinq sur deux banquettes qui se font face. Les huit pesos, qui constituent le tarif normal, circulent de main en main jusqu'à celle du conducteur. Pour s’arrêter, le passager peut scander un "para po" ou tout simplement faire résonner une pièce de monnaie sur les barres métalliques attachées au plafond.
Le soir, le jeepney brille fièrement de tous ses néons et les deux grosses enceintes placées sous les banquettes se font de plus en plus bruyantes. Ce soir c'est George Michael qui accompagne la sortie du week-end des Philippins, au Mall of Asia, le troisième plus grand centre commercial d'Asie.
Pour terminer, quelques lignes sur le moyen de transport dans lequel je passe le plus de temps : le bus. Pour les longs trajets d'une douzaine d'heures, l'unique voie ferrée du pays ne traversant que Manille, il ne reste que l'option 'bus climatisé'. L'adjectif climatisé est essentiel ici car passée la première nuit en bus, on comprend vite, contre toute attente, qu'il va devenir un calvaire. En effet, c'est toujours la même histoire. Seules les premières minutes rafraîchissent le voyageur. Puis commence alors une longue lutte pour tenir jusqu'à l'arrivée. Impossible d'arrêter le courant d'air froid ni d'en régler sa puissance. Les Philippins, résignés, y voient l'unique occasion de porter un bonnet et un blouson. Pour ma part, je refuse l'investissement, qui ne viendra qu'ajouter des kilos inutiles à mon sac à dos. Il faut alors ruser pour dévier l'arrivée d'air, et s’approvisionner en boissons chaudes lors de chaque arrêt.
L'équipage d'un bus est toujours constitué du chauffeur et de son assistant. L'assistant, qu'on appelle 'conductor', c'est celui qui vend les billets et repère les nouveaux passagers qui attendent sur la bord de la route. Souvent très jeune, c'est toujours un peu le même style vestimentaire. Un style que l'on qualifierait en France de banlieusard. La casquette L.A. ou N.Y.C. ( Los Angeles ou New York City), le maillot de basket-ball et quelques tatouages sur les bras. Mais l'habit ne fait pas le moine. Un Philippin reste un Philippin, quelque soit son âge. Le sourire, la politesse, l’accueil et le respect semblent être innés ici. Le conductor aide les femmes à monter dans le bus. Puis ayant repéré l'americano que je représente à travers ma peau blanche, il vient s’asseoir à coté de moi pour tenter d'en apprendre un peu plus sur ma présence ici et sur mon pays d'origine. Puis il reviendra s’installer à l'avant du bus en reprenant le refrain de la chanson qu'il vient d'insérer dans le lecteur CD. Ce n'est pas du RAP, comme on pourrait s'y attendre, mais toujours les mêmes classiques américains que chaque Philippin connait par coeur. Des groupes plutôt démodés comme Air Supply ou Survivor qui vous suivent partout aux Philippines et qui ont encore de belles années devant eux ici.