jeudi 30 juin 2011

Une journée en High School


Le système éducatif philippin est calqué sur le système américain, bien que plus court en nombre d'années. De 2 à 6 ans, les enfants peuvent rejoindre une Pre School, l'équivalent de la maternelle en France. Ensuite l'école devient obligatoire pour l'Elementary School (cycle primaire), de 6 à 12 ans, puis l'High School (cycle secondaire), de 12 à 16 ans. Enfin, les plus chanceux termineront leurs études par un cycle de deux ou quatre ans à l'Université.

L'école, pour les enfants qui ont la chance d'y aller, prend une place considérable et rythme bien souvent aussi leurs soirées, week-ends voir même vacances. Les journées sont bien remplies à l'image de celles de Maricel, qui fait sa rentrée en deuxième année d'High School.


Maricel a 13 ans et vit à Piat, petite ville au nord des Philippines. C'est la dernière d'une famille de cinq enfants. Ses parents se sont séparés il y a quelques années et sont chacun partis à Manille fonder une autre famille, laissant derrière eux leurs quatre premiers enfants. Les trois aînés, âgés de 18 à 15 ans, ont arrêté l'école à 12 ans après leur cycle primaire obligatoire. L'avant dernière s'est malheureusement noyée l'année passée, en voulant simplement se rafraîchir dans la rivière après la fête du village. Les enfants ont maintenant des petits jobs comme assistance médicale ou soudeur, afin de gagner leur vie et d'être autonome. Par chance, Maricel a été recueillie par la directrice de l'école Our Lady of Piat High School. Elle y vit donc à l'année, dans le dortoir, avec trois autres filles. Il s'agit d'une école privée dirigée par des Soeurs Franciscaine. Aux Philippines, les écoles privées sont tenues par des religieux et Our Lady of Piat High School n'échappe pas à la règle. C'est avant tout la discipline qui fait la réputation de ces écoles. Un autre avantage sur le public étant le faible nombre d'élève par classe. Il n'y a que vingt-huit élèves dans la classe de Maricel quand ce chiffre avoisine parfois la soixantaine en école public.

4:50 am : le réveil sonne dans le petit dortoir vieillissant de Maricel. Elle et ses trois camarades se lèvent pour une nouvelle journée d'école. Dans la pièce d'à coté, trois jeunes enseignantes d'une vingtaine d'années se réveillent aussi. C'est elles qui encadrent les enfants de l'internat. Maricel commence alors sa journée par se doucher à l'eau froide, en allant dans un premier temps puiser l'eau à la pompe. Puis elle enfile son uniforme pour entamer sa tache quotidienne, balayer la grande cour en béton, à l'aide de son balais fabriqué à partir de nervures de feuilles de cocotier. Les autres filles du dortoir ont leur propres taches aussi. Arroser les fleurs, couper l'herbe aux ciseaux...

6:30 am : les filles peuvent enfin prendre un petit déjeuner constitué du riz froid du repas précédent accompagné généralement d'une boîte de thon ou de sardines. Petit à petit les élèves arrivent à l'école. Les premiers sont ceux qui seront chargés, pour la journée, du lever des couleurs. Dans les classes, les professeurs affichent le poster qu'ils viennent de préparer et qui indique le planning de la journée. Les enfants suivent au total huit cours différents : anglais, tagalog (filipino), mathématiques, sciences, santé, musique et chant, culture et éducation civique.

7:15 am : c'est l'heure du lever des couleurs. Alignés par niveau dans la cour principal, Maricel et ses camarades écoutent attentivement les instructions de l'élève de dernière année, chargé de diriger le rituel. Ce dernier commence par une prière puis un "je vous salue Marie" repris par toute l'assemblée. Vient ensuite le moment très solennel du lever du drapeau accompagné par l'hymne national. Le meneur bat la mesure tandis que ses camarades, main sur le coeur, fixent le drapeau qui s'élève petit à petit. La cérémonie se termine par les instructions du principal.



8:00 am : les cours de la matinée peuvent enfin commencer pour Maricel. C'est en général en anglais que le professeur dicte ou écrit ses cours au tableau. A la pause de dix heures, les élèves se précipitent vers la petite cantine de l'école pour acheter un goûter. Aux Philippines, une merienda, comme on l'appelle, ne se rate pas. Ceux qui peuvent se l'offrir s'achète des barres de chocolats, des bananes fris ou un coca qu'ils versent dans une poche en plastique, la bouteille étant consignée. L'enceinte de l'école est petit à petit parsemée de papiers, plastiques en tout genre... Il y a bien des poubelles mais ce n'est pas encore rentré dans l'esprit des Philippins. Et puis de toute façon il y a quelqu'un assigné au ramassage tous les soirs. Quand je demande à Maricel pourquoi elle vient de jeter son paquet de biscuits vide par terre, à même pas dix mètres de la poubelle, celle-ci se contente de rigoler. C'est le début de la semaine et Maricel est contente car elle vient de recevoir son petit argent de poche que lui donne la directrice pour la semaine. Elle peut alors se permettre d'acheter un gouter sans se soucier de la fin de semaine. Et c'est pourtant à chaque fois le même problème. A partir du jeudi ou vendredi Maricel a déjà dépensé tout son argent. Les intercours sont alors beaucoup moins drôles et il ne lui reste plus grand chose pour accompagner l’assiette de riz lors de ses repas. Économiser ne fait pas encore parti du vocabulaire philippin !



12:00 am : pause déjeuner. Certains rentrent chez eux mais une bonne majorité d'élève est venu avec un repas qu'ils engloutissent assis sur leur bureau de classe. Maricel a tout juste le temps pour une petite sieste dans son dortoir. Dans la cour il y a aussi des élèves de cycle primaire (Elementary). Cette année, le jeu à la mode sort d'un petit tube de colle coloré. Il s'agit d'une colle un peu particulière qui permet, à l'aide d'une petite paille, de faire des grosses bulles très résistantes au toucher. Les bulles passent de bouche en bouche sans que les enfants se soucient des fortes odeurs de solvant qui s'en dégage. Mais à en croire certaines mines crispées au contact de la bulle de colle, ce n'est pas le goût qui en a fait leur popularité.






13:30 pm : les cours reprennent. Maricel et sa classe ont un petit projet cet après-midi. Il s'agit d'aller désherber le terrain arrière de l'école envahi par la végétation. Armée de sa machette, Maricel suit son professeur qui dicte les opérations. Etre enseignant aux Philippines est synonyme de réussite et inspire le respect. Véritable autorité, à n'importe quel moment et que l'on soit à l'intérieur de l'école ou non, chaque ordre donné par un professeur à son élève sera toujours exécuté sans interrogations par ce dernier.

16:30 pm : nouveau rassemblement qui marque la fin de la journée scolaire. Après les dernières recommandations les élèvent rentrent en général chez eux. Mais pas aujourd'hui, car c'est la semaine du festival de la ville de Piat. Maricel et ses camarades doivent alors s'entrainer pour la parade qui aura lieu dans deux jours. Majorettes, tambours, xylophones, chorégraphies... les parades sont une véritable institution aux Philippines. Pourvu que ça brille et que ça fasse du bruit !






17:30 pm : Maricel accomplie son autre tache de la journée. Il lui faut arroser la pelouse tous les soirs. C'est avec le sourire que Maricel s’exécute. Elle me raconte alors ses projets. Elle aimerait devenir architecte plus tard. A cet âge, je sais qu'en général, derrière chaque ambition se cache une raison particulière. Celle de Maricel provient tout simplement de son dortoir. En effet celui-ci aurait déjà du être démoli il y a quelques années devant sa vétusté. Mais l'école manque de financements. Maricel, elle, a déjà les plans en tête d'un dortoir tout neuf ! En ce qui concerne les devoirs à faire le soir; il n'y en a en fait très peu durant l'année, au sens où on l'entend en France. Mais je comprends vite qu'en réalité ils sont omniprésents. Il s'agit du devoir d’obéissance. Ou encore celui qu'a un élève philippin pour garder son école propre et pour la représenter fièrement lors des divers compétitions annuelles.

19:00 pm : c'est l'heure du dîner. Maricel part s'acheter une conserve ou quelques légumes auprès du sari-sari le plus proche. Il s'agit d'une petite épicerie locale. Là encore l'économie y fait défaut. Tout est vendu à l'unité et en très petite quantité. Le shampoing, le dentifrice, les sachets de gâteaux individuels, les cigarettes... Tout sera consommé dans l'instant. Pourtant le calcul est vite fait, et s'acheter une grosse bouteille de shampoing en début de mois permettrait à Maricel de s'offrir quelques goûters supplémentaires.
La soirée, Maricel peut enfin se détendre un peu en regardant par exemple la télé installée dans le dortoir des professeurs.




22:00 pm : le dortoir s'éteint enfin. Avant de s'endormir Maricel prend soin d'allumer un ventilateur afin de chasser les moustiques affamés durant son sommeil.


 



Ses week-ends mais aussi ses vacances, Maricel les passe dans l'école. Le samedi elle s'offre une petite grasse matinée en se levant vers 6h30 (pour moi c'est plutôt 9h, "jokelang"). Il faut alors laver les classes des Pre School et tout ranger. C'est aussi le jour des lessives. Maricel a de quoi s'occuper. Mais le plus frappant dans tout ça, c'est qu'elle est heureuse ! Bien sur elle pense à sa grande soeur décédée l'année dernière ou encore à ses parents. Mais ça c'est quand elle n'a rien à faire justement. Le reste du temps, du moment que l'une de ses acolytes est à ses côtés (le fameux "kasamahan" en tagalog qui signifie compagnon), peu importe la tâches à accomplir, elle sera toujours rythmée de nombreux éclats de rires ! 



lundi 20 juin 2011

La New People's Army


Les NPA, comme on les surnomme ici, sont la branche armée du parti communiste philippin. D'inspiration maoïste et créé en 1969, ce mouvement a connu son apogée dans les années 1980 avec plus de 25 000 combattants à son actif. Revendiquant entre autre l'assassinat de Colonel américain James N. Rowe, le mouvement a récemment été qualifié d'organisation terroriste par les Etats-Unis et l'Union Européenne. Les NPA agissent majoritairement en zone rural et leurs principales cibles sont les militaires, les hommes politiques ou hommes d'affaires. Bien que réduits à environ 5 000 membres aujourd'hui, leurs faits d'armes font toujours l'actualité. Mais si je vous en parle, c'est justement parce que certains des programmes dont j'ai la charge sont situés dans des zones rurales encore sensibles.

Et pourtant la première fois qu'une responsable philippine me parle des NPA, c'est pour me rassurer. Mais son discours me fait plutôt l'effet inverse. En effet, tranquillement installé sur le toit du jeepney qui nous emmène dans son village, Ate Leoni, la responsable, me demande de passer à l'intérieur lors du deuxième arrêt.


Elle me fait alors part d'une embuscade qui a eu lieu deux jours avant mon arrivée. C'était après la fête du village. Le préfet de police de la région, accompagné de sa femme, était venu assister aux célébrations. Puis ils sont repartis, en bonne garde, à la fin de la journée. C'est sur la route du retour qu'a eu lieu l'attentat. Les NPA, avait alors placé une mine sur la piste qu'ils ont fait sauter au passage du convoi. S'en est alors suivi un réel massacre pendant lequel une quarantaine d'hommes armés achevèrent les occupants du fourgon de police. Bilan, six morts et un disparu...
Et c'est cette même piste que nous nous apprêtons à emprunter. Mais Leoni m'assure que les NPA ne s'attaquent pas aux touristes et que de toute façon, ils sont sûrement déjà loin, tant la région est maintenant quadrillée par les militaires. En passant au niveau de la zone de l’attentat, j’aperçois quelques restes. Un pneu calciné et une perfusion gisent encore sur le sol, tandis que le fourgon, éventré sur le côté, repose sur le bas-côté de la piste.

De manière général il faut éviter de parler des NPA, ou du moins d'en dire du mal, car on n'est jamais sur que l'interlocuteur en face n'en fait pas parti. Et finalement, sans le savoir, j'ai forcément été en contact avec des sympathisants. En effet, trois mois après cet incident, je retourne une nouvelle fois dans le village d'Ate Leoni. Et nouvelle coïncidence, un autre épisode de la lutte entre les NPA et l'Armée vient d'avoir lieu. Cette fois-ci, c'est le SWAT philippin qui a retrouvé le sourire après avoir abattu le commandant NPA de la région. Il doit être enterré cette semaine dans son village natal. Et c'est justement là-bas que je suis sensé aller visiter certains filleuls avec Ate Leoni !
Mais le lendemain les précipitations sont trop importantes et la route étant boueuse, Leoni a peur que nous ne puissions pas effectuer le voyage dans la journée. Cela nous obligerait à dormir là-bas et étant données les circonstances, elle préfère éviter. Mais le soir son mari, qui a absolument tenu à assister à la veillée funéraire, me tend son téléphone portable. J'y aperçois alors la tête d'un homme d'une soixantaine d'année, le fameux commandor comme ils l'appellent ici, allongé dans son cercueil...




Mais les NPA ne sont pas les seuls à effrayer la population. Dans la région de Kalinga, au nord de Luzon, ce sont les guerres tribales qui peinent à disparaître, héritage culturel dont les habitants se seraient bien passés.
En effet, il y a encore une centaine d'années, les villages voisins s’entre-tuaient à grands coups de machettes pour un simple désir de vengeance ou tout simplement sanguinaire. Mais aujourd’hui les gens se déplacent, se mélangent et ceci devrait déjà être du passé. Pourtant, à en croire certains, la tribu d'appartenance d'une personne se lit souvent sur son visage. Et la vengeance est parfois la seule consolation possible devant la perte d'un proche. Qu'elle soit volontaire ou accidentelle, si un membre d'une tribu décède par la faute d'une personne d'une autre tribu, alors il doit impérativement être vengé. Mais peu importe la responsabilité de la prochaine victime, du moment qu'elle appartienne à la tribu visée ! Et c'est pourquoi, lorsqu'un conflit refait surface, certains des étudiants Enfants du Mékong de la région se voient contraints de se cacher pendant plusieurs jours jusqu'à ce qu'un nouveau décès intervienne...

C'est toujours dans la même région qu'une autre histoire me vient aux oreilles. Je suis en voiture en compagnie d'un philippin tandis que nous traversons un petit village. Celui-ci m'explique alors que nous traversons une zone surnommée la "terre royale". Après ma demande d'explications, il me raconte qu'un jour, l’évêque et son chauffeur traversent en voiture le village. Passant alors un peu trop près d'une petite fille, celle-ci, effrayée, pousse un grand cri. Les deux hommes s’arrêtent alors pour vérifier que la fillette ne soit pas blessée. C'est alors que le père de celle-ci surgit, machette à la main, avec la ferme intention de tailler en pièce le chauffeur ! Il ne cherche pas à savoir ce qu'il a bien pu se passer ni à qui il a affaire et s'élance en direction des deux hommes. Dans un dernier geste, l'évêque a tout juste le temps d’arrêter le coup de machette qui s'abat sur son chauffeur. La lame lui tranche alors plusieurs phalanges avant qu'il parvienne à s’échapper avec son conducteur.
Mon compagnon de route rigole alors en m'expliquant qu'ici, la moindre erreur de conduite peut te coûter la vie !

Tout ceci me rappelle que même si les rapports que j’entretiens avec des Philippins sont pacifiques et joyeux, je ne dois pas oublier que le fait de contenir ses émotions en permanence, de toujours cacher ses sentiments, peut amener dans certaines circonstances à des explosions émotionnelles d’une violence incroyable.

C'est promis, le prochain article sera moins sombre !

A vous de jouer !

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